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source: Le monde

Le tribunal de Strasbourg s'est déclaré incompétent pour juger les militants antimondialisation No Border

28.Aug.02 - Strasbourg (bas-rhin) de notre envoyé spécial - Un beau cafouillage. En se déclarant incompétent, compte tenu des charges requises, pour juger les militants antimondialisation qui comparaissaient, lundi 26 août, devant lui, le tribunal correctionnel de Strasbourg a confirmé l'impression qui s'est dégagée tout au long de cette étrange audience. Il s'agissait en effet de juger, en comparution immédiate, dix-sept militants du collectif No Border qui, vendredi 23 août, avaient occupé pendant quelques heures une annexe du palais de justice de Strasbourg.

Ils voulaient ainsi protester contre les conditions de détention – interdiction du droit de visite, notamment – d'un de leurs camarades, Ahmed Meguini, condamné à trois mois de prison ferme pour avoir blessé un policier lors des manifestations dans le centre de Strasbourg, le 24 juillet (Le Monde du 23 août). Après un simulacre de négociations, les hommes du Groupe d'intervention de la police nationale (GIPN) étaient entrés en force dans les locaux occupés où se trouvaient encore trois fonctionnaires du ministère de la justice. Les dix-sept militants furent interpellés, placés en détention provisoire, et mis en examen pour "violation de domicile" et "séquestration".

C'est cette dernière charge qui a constitué le nœud de l'audience. Un peu avant l'ouverture des débats, on apprenait ainsi qu'un des avocats de la défense, Me Alain Orounla, soulèverait l'incompétence du tribunal correctionnel. Son argumentation était simple : la séquestration étant considérée comme un crime et non comme un délit, ses auteurs sont passibles de la cour d'assises et non d'un simple tribunal correctionnel. Celui-ci doit donc se dessaisir de l'affaire. "Les juges sont dans la seringue, je ne vois pas comment ils pourront s'en sortir", prédisait alors un habitué.

Ce pronostic allait se confirmer au cours des deux heures de débat. La personnalité des accusés, d'abord : âgés, pour la plupart, d'un peu plus de 20 ans, étudiants ou employés, sans aucune condamnation préalable, ils expliquèrent à tour de rôle le caractère non violent de leur action et qu'à aucun moment, ils n'avaient forcé les fonctionnaires présents à rester dans les bureaux occupés. Faits qui furent confirmés par deux de ces fonctionnaires. "Je suis resté par choix personnel, pour ne pas laisser les bureaux sans personne du ministère, mais aussi parce que ma hiérarchie, que j'ai pu consulter par téléphone, me l'a demandé", déclara ainsi Jean-Jacques Heitz. S'il s'est senti "séquestré, poursuivit-il, c'est que ces gens n'avaient rien à faire ici et qu'il était l'heure de fermer la boutique".

Séquestration?

Le procureur adjoint, Philippe Vannier, tenta alors d'étayer ses accusations. Pour lui, "ces infractions sont graves". "La violation de domicile est clairement établie. Il ne faut pas confondre service public et lieu public, un ministère n'étant pas un hall de gare." Les prévenus "se sont maintenus dans ces lieux en barricadant les portes, organisant un tour de garde et exerçant un chantage". Quant à la séquestration, elle est aussi "évidente" car les prévenus "voulaient imposer leurs conditions et empêcher la police d'entrer". "Il est nécessaire de porter un coup d'arrêt à ce genre de comportement préjudiciable à l'ordre public", conclut le procureur, avant de demander une peine de quatre mois d'emprisonnement dont trois avec sursis.

Le premier avocat de la défense, Me Frédéric Massiot, s'attacha à démontrer l'inanité de l'accusation de violation de domicile. Il insista sur le caractère non violent de toute l'opération, ironisant même sur l'ambiance bon enfant qui régnait à l'intérieur des bâtiments. Me Orounla, comme il l'avait annoncé, souleva ensuite l'incompétence du tribunal. Non sans avoir, auparavant, stigmatisé l'attitude du parquet qui "a sorti un bazooka pour écraser une souris". "Comment peut-on parler de séquestration lorsque pas un mot, pas une phrase prononcés par les accusés peuvent laisser entendre qu'ils ont contraint les fonctionnaires à rester sur les lieux ? S'il y a eu séquestration, alors les accusés risquent vingt ans de prison, ou même trente ans, car on pourrait les considérer comme une bande organisée, ce qui aggraverait leur cas."

Après une heure de délibération, la présidente Isabelle Fabreguette, conclut à l'incompétence du tribunal et les accusés furent remis en liberté. En attendant que le parquet décide de la suite à donner à l'affaire. Le choix est simple : soit il confie le dossier à un juge d'instruction dans la perspective éventuelle d'un renvoi vers une cour d'assises – compte tenu des débats de lundi, et de la minceur du dossier, on imagine mal une telle conclusion –, soit un non-lieu est décrété, après, sans doute, une savante agonie procédurière. A moins qu'il ne soit possible, mais les avocats semblaient sceptiques sur la conformité d'une telle solution, de renvoyer le dossier devant le tribunal correctionnel en ne retenant plus la charge de séquestration. Une chose est certaine : il ne sera pas facile pour le parquet de résoudre cette "alternative du diable".

José-Alain Fralon

Visite à M. Meguini, toujours à l'isolement

Muguette Jacquaint, députée communiste de Seine-Saint-Denis, a rencontré, lundi 26 août, Ahmed Meguini, membre de No Border, à la maison d'arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin) où il est incarcéré depuis le 24 juillet. A l'issue de leur entrevue, la députée a demandé sa sortie de l'isolement : "Qu'on ait mis ce jeune garçon en prison, qu'il ait été jugé et mis à l'isolement comme un repris de justice, c'est une criminalisation des militants associatifs qui est dangereuse pour la démocratie." Ahmed Meguini, 25 ans, est maintenu à l'isolement et est interdit de parloir depuis son arrestation. "Il dit avoir perdu près de 8 kg, précise Muguette Jacquaint. Mais il n'est pas abattu, c'est un jeune qui a l'habitude de lutter."