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source: l'Humanite

Justice: "L'extension infinie de la définition du terrorisme"

21.Aug.02 - l'occasion du procès d'Ahmed Meguini, Evelyne Sire-Marin, présidente du Syndicat de la magistrature, dénonce l'assimilation des actions militantes à des actes terroristes.

Près d'un mois après son arrestation lors des manifestations organisées à Strasbourg par le réseau européen No Border, Ahmed Meguini, le jeune porte-parole du Mouvement spontané, passe aujourd'hui en procès pour " violence aggravée sur agent de la force publique ".

Avec les conditions de détention provisoire particulièrement dures à l'encontre d'Ahmed Meguini, on a le sentiment de franchir un seuil supplémentaire dans la répression des mouvements sociaux. Qu'en pensez-vous ?

Evelyne Sire-Marin. C'est sûr que la période actuelle a de quoi inquiéter : on a affaire à un Etat de plus en plus policier, l'idéologie sécuritaire gagne tous les jours un peu plus de terrain et les libertés publiques s'effritent. Les exemples sont nombreux : il n'y a qu'à voir les poursuites systématiques dont sont l'objet les militants de la Confédération paysanne, la condamnation de José Bové et d'Alain Hébert, le secrétaire de l'union locale CGT de Cherbourg. C'est vrai que, quand il y a une accusation de violence sur une personne chargée d'une mission de service public, comme un policier, au cours d'une manifestation, la justice réagit à présent relativement souvent en condamnant les prévenus à des peines fermes ou de la détention provisoire. C'est nouveau comme phénomène pour les manifestations politiques ou syndicales. Dans le cas d'Ahmed Meguini, le régime d'isolement est incompréhensible et cela représente effectivement un durcissement très net de la répression.

Que dites-vous du climat général en France et en Europe ?

Evelyne Sire-Marin. L'hiver dernier, le Parlement européen a approuvé une directive-cadre sur le terrorisme que le Parlement français doit examiner. Ce texte donne une définition très large des actes terroristes qui englobe le fait de causer des dommages à des infrastructures publiques ou privées, d'accomplir un acte quelconque qui nuise à l'autorité des Etats. Tous les actes militants, comme la participation aux manifestations de Göteborg ou de Gênes, le fait d'empêcher un convoi de déchets nucléaires, d'occuper une usine, de faucher des OGM dans un champ et bien d'autres choses encore, risquent de tomber sous cette définition très large avec des peines prévues très lourdes et un régime de condamnation, de détention très spécial. Cela dénote quand même une conception très nouvelle des actions militantes. Jusqu'à présent, il y avait une forme de tolérance chez les juges pour les actions militantes, une tolérance qui jouait parfois pour des actes considérés comme des délits. Pendant très longtemps, le caractère militant, politique, syndical ou social était considéré comme une excuse et la responsabilité pénale était quelque peu atténuée. Aujourd'hui, on a l'impression qu'au contraire, du moment que ce sont des actes militants, la responsabilité pénale est aggravée par la motivation politique, sociale ou syndicale.

La définition du terrorisme a été étendue récemment par Europol, le corps de police européen, et approuvé par le Conseil des ministres au sommet de Séville en juin dernier. Dans ce cadre, les catégories comme le " pré-terrorisme ", l'" éco-terrorisme " et le " terrorisme anarchiste " apparaissent. On est dans une période d'extension infinie de la définition du terrorisme. Ceux qui fauchent des champs d'OGM pourront être considérés comme des " éco-terroristes ". En Europe, cela répond à ce qui se passe aux Etats-Unis où la qualification de " combattant ennemi des Etats-Unis " retire tous les droits et permet à l'Etat américain d'agir comme bon lui semble sans que la justice puisse contrôler quoi que ce soit. On va vers l'extension de notions fourre-tout absolument pas juridiques mais qui entraînent l'abolition des droits fondamentaux des personnes.

Entretien réalisé

par Thomas Lemahieu